Nous sommes en train de vivre, avec l’avènement du paradigme ubiquitaire, une période de rupture technologique très forte – toutes les analyses le soulignent actuellement, et à raison. Grâce à l’utilisation du silicium embarqué, tous les objets ont en effet aujourd’hui la capacité d’être connectés et communicants. Cette évolution nous pousse à porter un regard nouveau sur les objets que nous utilisons au quotidien, car la technologie leur confère désormais des capacités de communication, de maillage et d’intelligence. Or, on évalue actuellement à 6 milliards le nombre d’objets connectés dans le monde, pour un total de 7 milliards d’habitants et dans une dizaine d’années, ce nombre d’objets connectés sera multiplié au moins par 5 ! Les possibilités technologiques qui s’ouvrent à nous paraissent dès lors quasi infinies.
Tout ceci est juste, mais ne suffit pas, je pense, à caractériser ce qui fait la spécificité de l’Internet des Objets du 21ème siècle. L’important d’après moi n’est pas que les objets soient devenus, avec l’informatique ubiquitaire, des objets technologiques, mais bien qu’ils soient devenus des objets sociaux, faisant naître du même coup, à l’échelle mondiale, une culture de l’homme numérique. Prenons l’exemple des adolescents qui se connectent à leur page Facebook via leur portable pour communiquer : ils font de leur téléphone un usage social avant tout, avec un mode de communication nouveau qui transite par les réseaux sociaux. Cette forme d’échange massivement utilisée remplace la conversation téléphonique, prolonge parfois la rencontre physique, mais crée aussi de nouvelles relations, qui transcendent l’objet lui-même. Les objets du 21ème siècle intègrent ainsi 3 composantes : technique, de savoir-faire et sociale. C’est ceci qui caractérise, selon moi, l’Internet des objets : tout objet, quelle que soit la façon dont il est connecté, a désormais un usage social.
Cette socialisation de l’objet connecté concerne également ce que l’on nomme le « corps augmenté ». Le téléphone mobile est déjà devenu pour nombre de gens une sorte de prothèse numérique, qui fait partie du corps en le prolongeant. Demain les lunettes Google ou autre permettront, non de corriger une vue défaillante, mais d’augmenter la réalité perçue, en nous en donnant une vision différente, augmenté par des contenus sociaux. Là se situe la nouveauté : en étant connecté, un objet comme une paire de lunettes devient un objet social. Et c’est précisément la raison pour laquelle, dès lors, il n’y a plus d’opposition entre le monde physique réel et le monde virtuel : au contraire, le monde physique est traversé par le monde numérique et sa dimension sociale, qui permettent de créer de nouveaux usages et services dans le monde physique. L’auto-partage par exemple, permet de repenser la mobilité à travers les objets connectés que sont les recharges, les bornes et les véhicules, en territorialisant autrement ses usages.
Le concept d’hybridation entre monde physique et monde numérique doit donc être lui aussi, je pense, compris à la lumière de cette notion de socialisation. L’hybridation permet de partir du monde physique pour le réinventer, via l’internet des objets et le corps augmenté, en proposant des usages et des services entièrement nouveaux. L’hybridation n’est pas une chose nouvelle : l’homme s’est toujours approprié son espace de manière créative par le biais de la technique puis de la technologie. Ce qui est nouveau, à l’heure actuelle, c’est que la technologie ouvre des espaces nouveaux en reliant socialement les individus. Il est assez impressionnant de voir la façon dont Facebook connecte l’humanité à travers la terre, et ceci pas uniquement de façon virtuelle, puisqu’il peut générer d’importants rassemblements. De même les activités humaines s’ouvrent actuellement à de très nombreuses possibilités à travers les objets connectés, qu’il s’agisse de l’art, de la médecine, des biotechnologies, etc. ou de la vie de tous les jours. Les usages sont donc, aujourd’hui, réinventés par l’hybridation.
Si l’on applique ces considérations à la ville, de même, on voit que les potentialités de l’internet des objets sont extrêmement riches – et qu’elles ne se résument pas à un frigo qui nous alerte quand il n’y a plus de beurre ! La ville étant un territoire de vie et de rencontres, les objets connectés sont un outil pour faire émerger de nouvelles expériences de vie qui donnent naissance à des usages et services inédits, administratifs, loisirs, santé, sociabilité etc. Par exemple, les seniors peuvent être connectés à des services de soin médicaux mais aussi à des réseaux sociaux qui leur sont dédiés pour améliorer leur quotidien. Au sein des villes, les citoyens connectés et actifs, que je nomme les « digizen », jouent un rôle essentiel dans ce mouvement de création de nouveaux usages et services en promouvant une socialisation territoriale féconde.
Je soulignerais pour finir le rôle que jouent les plateformes dans ce processus d’hybridation. Les plateformes sont des systèmes qui permettent d’agréger, d’enrichir, de récréer, de contextualiser des informations, mais c’est surtout par leur biais que les usages et les fonctionnalités peuvent être repensés et incarnés. Véritables espaces d’agrégation et de rencontres dans lesquels convergent les mondes physique, numérique et social, les plateformes sont des lieux où l’on appréhende autrement les usages. A travers les plateformes dédiées à la mobilité en ville par exemple, la voiture n’est plus pensée comme un objet propre mais comme une fonctionnalité, parmi d’autres, pour se déplacer. Les plateformes font ainsi naître une culture de l’aller-retour indispensable entre le monde physique et le monde physique par le biais du monde numérique, l’hybridation permettant dès lors d’augmenter les possibilités et l’immersion sociale de les concrétiser.
L’internet des objets n’est donc pas à penser comme un univers superflu, du gadget technologique, mais bien comme une possibilité, pour l’homme, de se réapproprier son espace en lieu de sociabilité et de créativité. Tous les objets qui nous sont les plus familiers, deviennent ainsi des objets dont il peut être fait un usage nouveau au travers des interfaces numériques. D’où la notion d’ « esthétique de l’hybridation », car cette dernière donne naissance à ce que l’on nomme le design des services – notion majeure pour comprendre la culture de l’innovation qui est en train de naître. De même qu’un designer conçoit un objet fonctionnel pour lui conférer des usages nouveaux avec une certaine beauté, les allers-retours entre monde physique et monde numérique via les plateformes vont permettre de reconcevoir les services et les fonctionnalités de la vie quotidienne, notamment urbaine.
La notion d’internet des objets renvoie donc à une rencontre fructueuse entre la science, la technique, la société et les usages sociaux, qui est en train de bouleverser en profondeur le monde dans lequel nous vivons. Un vrai enjeu pour les années à venir, un défi pour tous !
Con ocasión del Día Mundial del Internet de las Cosas o IoT Day, el pasado martes 9 de abril, el Prof. Carlos Moreno hizo un balance sobre su forma de entender los auténticos retos de las transformaciones tecnológicas y digitales que estamos atravesando.
Con la llegada del paradigma ubiquitario, estamos viviendo un período de fuerte ruptura tecnológica. Todos los análisis lo confirman, y con razón. Así, gracias a la incorporación del silicio, actualmente todos los objetos están capacitados para estar conectados y comunicar. Esta evolución nos obliga a mirar con otros ojos los objetos de uso diario, puesto que la tecnología les confiere ahora la capacidad de comunicación, mallado e inteligencia. En la actualidad, para un total de 7.000 millones de habitantes, el número de objetos conectados en el mundo se estima en 6.000 millones, y se prevé que dentro de unos diez años, esta cifra se verá multiplicada como mínimo por 5. Por ello, las posibilidades tecnológicas que se abren ante nosotros parecen casi infinitas.
Todo esto es cierto, pero creo que no basta para caracterizar lo que constituye la especificidad del Internet de las Cosas del siglo XXI. A mi entender, lo importante no es que con la informática ubiquitaria los objetos se hayan vuelto tecnológicos, sino que se han convertido en objetos sociales, dando lugar, simultáneamente y a escala mundial, a una cultura del hombre digital. Tomemos como ejemplo los adolescentes que se conectan con el móvil a su página Facebook para comunicar: ante todo hacen un uso social de su teléfono, con un nuevo sistema de comunicación que circula por las redes sociales. Esta forma de intercambio de utilización masiva, sustituye a la conversación telefónica y prolonga a veces el encuentro físico, pero también crea nuevas relaciones que van más allá del objeto en sí. Puede decirse que de este modo los objetos del siglo XXI integran tres componentes distintos: técnica, conocimientos y socialidad. Eso es lo que, en mi opinión, caracteriza al Internet de las cosas: todo objeto presenta un uso social, independientemente de la forma en que esté conectado.
Esta socialización del objeto conectado afecta igualmente a lo que se conoce como “el cuerpo ampliado”. El teléfono móvil ya se ha convertido para mucha gente en una especie de prótesis digital que forma parte de su cuerpo y lo prolonga. En el futuro, las gafas Google u otras permitirán, ya no corregir la vista, sino aumentar la realidad percibida, ofreciéndonos una visión diferente, aumentada por los contenidos sociales. Y aquí radica la novedad: al estar conectado, un objeto como pueden ser unas gafas se convierte en un objeto social. Y esta es precisamente la razón por la que, a partir de este momento, no hay diferencia entre el mundo físico real y el mundo virtual: al contrario, el mundo digital y su dimensión social atraviesan el mundo físico, permitiendo crear nuevos usos y servicios en el mundo físico. El hecho de compartir vehículos hace posible un replanteamiento de la movilidad a través de los objetos conectados que son las recargas, los puntos de recarga y los vehículos, poniendo su uso en común a nivel territorial.
El concepto de hibridación entre mundo físico y mundo digital debe ser comprendido, pienso yo, a la luz de esta noción de socialización. A través del Internet de las cosas y el cuerpo ampliado, la hibridación permite salir del mundo físico para reinventarlo, y proponer unos usos y servicios totalmente nuevos. La hibridación no es nada nuevo, pues el hombre siempre se ha apropiado de su espacio de una forma creativa, a través de la técnica y, luego, de la tecnología. Actualmente, lo que resulta una novedad es que la tecnología abre espacios nuevos conectando socialmente a los individuos. Resulta bastante impresionante ver la forma en que Facebook conecta a la humanidad a través de la tierra, y ello no tan solo de forma virtual, ya que puede llegar a generar encuentros multitudinarios. Del mismo modo, las actividades humanas se están abriendo a un sinfín de posibilidades a través de los objetos conectados, ya se trate de arte, medicina, biotecnologías, etc. o de la vida diaria. Hoy en día los usos están reinventados a través de la hibridación.
Si se aplican estas consideraciones a la ciudad, puede apreciarse que las potencialidades del Internet de las cosas son importantísimas y que no se limitan a una nevera que nos avisa cuando no queda mantequilla. La ciudad es un territorio de vida y de encuentros, y los objetos conectados constituyen una herramienta para que surjan nuevas experiencias de vida que den paso a usos y servicios inéditos, administrativos, de ocio, sanitarios, sociabilidad, etc. Por ejemplo, las personas mayores pueden conectarse a servicios de atención médica y también a redes sociales dedicadas para mejorar su día a día. En las ciudades, los ciudadanos conectados y activos, los que yo denomino “digizen”, desempeñan un papel esencial en este movimiento de creación de nuevos usos y servicios, fomentando una socialización territorial fecunda.
Para terminar, me gustaría hacer hincapié en el papel que desempeñan las plataformas en este proceso de hibridación. Las plataformas son unos sistemas que permiten sumar, enriquecer, recrear y contextualizar información; pero, sobre todo, es a través de ellas que los usos y funcionalidades pueden replantearse y cobrar forma. Las plataformas constituyen auténticos espacios de reunión y acumulación, en los que convergen varios mundos: el físico, el digital y el social, y de este modo se convierten en unos lugares en los que se perciben los usos de forma distinta. A través de las plataformas dedicadas a la movilidad en la ciudad, por ejemplo, ya no se piensa en el coche como un objeto propio, sino como una funcionalidad, entre otras, para poder desplazarse. De este modo las plataformas dan vida a una cultura de ida y vuelta, indispensable entre el mundo físico y el mundo físico a través del mundo digital; y, a partir de ahí, la hibridación permite aumentar las posibilidades, y la inmersión social hace posible concretarlas.
No hay que considerar el Internet de las cosas como un universo superfluo o un mero gadget tecnológico, sino más bien como una posibilidad, para el hombre, de reapropiarse de su espacio como lugar de sociabilidad y creatividad. Todos los objetos que nos son más familiares se convierten de este modo en objetos que permiten usos nuevos a través de interfaces digitales. De ahí el concepto de “estética de la hibridación”, ya que ésta genera lo que se denomina diseño de servicios, noción ésta primordial para comprender la cultura de la innovación que está surgiendo. Al igual que un diseñador rediseña un objeto funcional para conferirle nuevos usos con cierta estética, las idas y vueltas entre el mundo físico y el digital a través de las plataformas permitirá rediseñar los servicios y las funcionalidades de la vida diaria, especialmente urbana.
La noción de Internet de las cosas nos remite a un provechoso encuentro entre la ciencia, la técnica, la sociedad y los usos sociales, que está transformando en profundidad el mundo en que vivimos. Un auténtico desafío para los años venideros, un desafío para todos.
To coincide with IoT Day on Tuesday 9 April, Professor Carlos Moreno outlines what he sees as the key challenges raised in the current context of radical technological and digital change.
Following the emergence of the ubiquitous computing paradigm, we’re living through a period of dramatic technological change – this analysis is now a widely accepted, and for good reason. Embedded silicon allows all objects to be connected and to communicate. This development has made us look at the objects we use everyday from a whole new angle, because technology has endowed them with communication, networking and intelligence capabilities. We current estimate the number of objects connected worldwide at six billion, for a total population of seven billion, and this number will increase at least fivefold over the next ten or so years! This opens up an almost infinite number of technological possibilities.
While that is definitely true, I don’t think it’s enough to define the Internet of Things in the 21st century. For me, what’s important is not the fact that objects have become, as a result of the ubiquitous nature of information technology, technological objects, but that they have become social objects, leading to the emergence of a global digital human culture. Let’s take the example of teenagers who connect to their Facebook page via their mobiles to communicate: they use their telephones mainly for social reasons, based on a new communication medium that operates via social networks. This form of exchange, which is used on a massive scale, is replacing the telephone conversation, and sometimes acts as extension to physical encounters, but it also creates new relationships, which go beyond the object itself. 21st century objects have three components – a technological component, a know-how component and a social component. This is what characterises, I think, the Internet of Things – every object, regardless of the way it is connected, now has a social use.
This socialisation of the connected object also relates to what we call the “augmented body”. The mobile phone has already become, for many people, a sort of digital artificial limb, which extends the body, and so becomes part of it. In the future, rather than correct our vision, Google and other glasses will augment our perceived reality, by giving us a different vision, augmented by social content. This is what’s so new: by being connected, an object, like a pair of glasses, becomes a social object. And that’s precisely why, from now on, there is no conflict between the actual physical world and the virtual world. Quite the opposite, in fact: the digital world and its social dimension runs through the physical world, which allows us to create new uses and services in the physical world. Car-sharing, for example, helps us think about mobility in a new way through connected objects, like recharges, terminals and vehicles, by approaching their uses in a locationally differentiated way.
So we also need to think about the concept of the hybridization of the physical world and the digital world against the background of the notion of socialisation, I think. Hybridization allows us to build on the physical world and reinvent it, via the Internet of Things and the augmented body, by coming up with totally new uses and services. There’s nothing new about hybridization: man has always adapted the space around him in a creative way, firstly via techniques, then technology. What’s really new is the fact that technology is opening up new spaces by socially linking individuals It’s pretty impressive to see how Facebook has connected humanity across the world, and it’s not just virtually, because it gives rise to a large number of gatherings. In the same way, connected objects are opening up countless possibilities for human activity in fields like the arts, medicine, biotechology, etc. and daily life. Uses are being reinvented by hybridization.
If we apply these ideas to the city, in the same way, we can see the incredible potential of the Internet of Things – and they don’t stop at a fridge that tells us we need to buy more butter! The city is a place of life and encounters, and connected objects provide a tool for developing new life experiences that give rise to original uses and services – administrative, leisure, health, sociability, etc. For example, older people can connect to medical care services but also to dedicated social networks to improve their daily lives. People living in urban areas, who are connected and active – I call them “digizens” – play a key role in this movement towards creating new uses and services by promoting a very creative and fertile territory-based socialization process.
To conclude, I would like to underline the role played by platforms in this hybridization process. Platforms are systems that allow us to incorporate, expand, re-create and contextualise information, but we also use platforms to rethink and embody uses and functionalities. Spaces of incorporation and encounter, in which the physical, digital and social worlds converge, platforms are places in which we approach uses in a different way. Urban mobility platforms, for example, enable us to think of the car as one functionality among others that allows us to move around, rather than an object in itself. Platforms are giving rise to a vital back-and-forth culture between the physical world and the physical world via the digital world. Hybridization consequently opens up new possibilities, and social immersion allows us to put them into practice.
The Internet of Things should not therefore be seen as a superfluous world, a technological gadget, but as a possibility, for mankind, to reclaim its environment as a place of sociability and creativity. Even the most familiar objects can then be turned to other uses via digital interfaces. Hence the notion of the “hybridization aesthetic”, which has given rise to what we call service design – a key notion in understanding the culture of innovation which is currently emerging. In the same way that a designer redesigns a functional object to give it a new use with a certain beauty, going back and forth between the physical world and the digital world via platforms will allow us to redesign the services and functionalities of daily life, including urban life.
The Internet of Things is a fruitful meeting between science, technology, society and social uses, which is bringing about profound changes in the world in which we live. It’s a huge challenge for the years ahead – a challenge we all need to face!